CHAPITRE 2. Sophie.
Elle m’avait cloué le bec, ça ne faisait pas un pli. Mais, même si son comportement était singulier, elle ne ressemblait pas à une folle sortie d'un asile.
Et pour tout dire, si nous nous étions rencontrés dans d'autres circonstances, j’aurais été certainement sensible à son charme, parce que, objectivement, elle était vraiment très jolie.
Elle s’approcha du lit tout en regardant attentivement la malade. Elle ne semblait pas inquiète, elle avait un regard bienveillant.
Je m'étais radouci, elle ne représentait pas de menace après tout. Je lui demandai alors plus sereinement :
- Je ne suis pas sûr d'avoir compris ce que tu m'as dit, dis-je, adoptant par mimétisme le tutoiement de mon interlocutrice.
- Eh bien, comment dire les choses simplement, réfléchit-elle. Claire va bien. Elle est dans un état de conscience, disons, différent.
- Oui, ok et …? répondis-je impatient.
- Le mot coma vient du grec kôma, le savais-tu ?
- Non…absolument pas.
- Eh bien il signifie sommeil profond.
- Euh, oui, merci de me l’avoir traduit, mais ça n'éclaire toujours pas ma lanterne, répondis-je ironiquement.
- Elle dort en fait, un sommeil un peu particulier certes, mais sans danger. Votre médecine classe les Comas du stade un à quatre. Quatre étant la mort cérébrale.
- Mouais, et donc ?
- Elle est actuellement au stade un. Tu vois ce n'est pas grave. Et je peux te l’assurer, cela n'empirera pas. Détends-toi, je suis là pour t'aider, pour vous aider. Il faut absolument que vous arriviez à communiquer.
Elle avait beau être gentille et jolie, mais je n’étais pas d’humeur à causer toute la nuit. Je n’avais toujours pas compris la raison de sa présence. Ma politesse venait d’atteindre ses limites, je lui demandai une dernière fois de quitter les lieux :
- Je ne suis pas sûr de comprendre. Tu es en train de me dire, mine de rien, que tu as la possibilité de me permettre de lui parler alors qu'elle est dans le coma, rien que ça ! Tu vois, je n'ai pas fait médecine, mais je sais que tu dis n'importe quoi, c'est simplement impossible ! Bon, écoute, je vis déjà un moment pas simple, et bien que plutôt large d'esprit habituellement et très tolérant sur les délires des autres, je n'aurai pas une minute de plus à te consacrer. Ne m'en veux pas, mais je préférerais que tu t’en ailles, s'il te plaît, merci. Je n'ai rien contre toi, mais je préfère rester seul. Est-ce que tu peux comprendre cela ?
Mon argumentaire ne sembla pas l’atteindre plus que cela, elle me répondit avec un calme inébranlable :
- Oui, je comprends ce que tu veux dire, j'en ai l'habitude, cela se passe toujours comme cela la première fois que je parle de la mise en relation. J'admets que ce que je suis en train de t'expliquer ne puisse pas être accepté d'emblée aussi facilement. Cela montre la clairvoyance de ton jugement, ton bon sens. Je ne vais pas insister pour ce soir, nous avons encore un peu de temps. Je repasserai demain.
Elle n’avait manifestement pas compris le message, je me devais d’enfoncer le clou, je commençais à avoir un peu de mal à garder mon calme au vu de son entêtement :
- Non, désolé, je ne préfère pas, vraiment pas. Je souhaite que nous en restions là.
L’inconnue me regarda alors fixement avec un demi-sourire :
- D'accord, alors bonne nuit Nicolas, que les esprits te gardent, dit-elle respectueusement.
Elle quitta aussitôt et solennellement la pièce en silence. La porte se referma tout aussi discrètement, me laissant perplexe. Pas facile de trouver le sommeil après une telle rencontre. J’essayai pourtant.
***
- Nicolas, réveille-toi bon sang !
J’ouvris les yeux péniblement, mais avec l'agréable surprise d’apercevoir ma chère Claire réveillée ! C'était bien la première fois que j’étais content qu'elle m'engueule ! Et, une fois n'est pas coutume, je pris la parole en premier :
- Ah ? Alors tu es sortie du coma ? Voilà une nouvelle qu'elle est bonne ! Comme quoi les médecins disent parfois des âneries, dis-je fièrement.
- Mouais ! Et on peut dire que tu en connais un rayon dans ce domaine ! rit-elle de bon cœur.
Voir Claire rire, c’était comme le vingt-neuf février des années bissextiles…plutôt rare ! Je compris alors que quelque chose clochait dans la scène…Un rapide coup d’œil circulaire m’apprit que nous n'étions pas dans la chambre, mais dans une grande pièce complètement vide. Elle me dévisageait avec une jouissance qu'elle avait du mal à dissimuler. Elle choisit d’abréger mon calvaire et m’expliqua :
- Je te demande de faire confiance à Sophie. Elle va te permettre de me rejoindre, c'est important.
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Ça n'a pas de sens !
- Si, plus que tu ne le crois, tu vas comprendre...
***
- Monsieur ? Monsieur ! Ça va ? demanda une voix qui ne m’était pas inconnue.
- Euh…oui, enfin je crois...répondis-je perplexe.
J’ouvris péniblement les yeux avec la désagréable impression d'avoir déjà vécu la scène. L'infirmière rassurée continua à vaquer à ses occupations matinales tout en me demandant :
- Pourriez-vous sortir quelques minutes s'il vous plaît ? J'ai des soins à faire.
- Oui, oui bien sûr…
Je m’exécutai sur le champ, pensif. Avais-je rêvé ? C'était bien étrange. Si c'était un rêve, il avait l'air fichtrement réel. Monsieur et Madame Tali patientaient devant la porte. Je ne savais pas de quelle manière amorcer la discussion dans ce contexte si particulier. Je ne voulais pas être maladroit et essayer d'être un peu plus chaleureux qu'à l'accoutumée. Car, il fallait bien le dire, autant j’étais en osmose avec leur fille, autant aucun atome crochu n'avait jamais réussi à naître entre nos deux parties, eux définitivement d'un autre monde que le mien, beaucoup plus proche de la moyenne… et de la normalité. Ce sont finalement ses parents qui prirent la parole les premiers :
- Bonjour Nicolas, tu as du nouveau depuis hier soir ? demanda la maman visiblement angoissée.
Que leur répondre ? Je ne me voyais pas leur dire un truc du genre. 'Elle va bien, j'ai parlé avec elle la nuit dernière…dans un rêve !' En fait, aussi fou que cela pouvait paraître, plus je me repassais la discussion dans la tête, plus je pensais, contre toute attente et toute logique, qu'elle s'était vraiment adressée à moi par ce biais. Je ne pouvais pas avoir inventé ces échanges, j’avais de l'imagination certes, mais là tout de même…Reportant mes rêvasseries à plus tard, je choisis la réponse prévisible que la sagesse me conseilla :
- Non, malheureusement rien de nouveau, désolé.
La déception se lisait sur leurs visages. Je crus alors bon d'ajouter cette phrase consternante :
- Ça vaut ce que ça vaut mais, vous savez, je ne suis pas trop inquiet. Je ne saurais pas vous dire pourquoi, une intuition voilà tout.
Le papa visiblement ému répondit à son tour :
- Merci pour ta sollicitude Nicolas.
La conversation fut interrompue par un homme d'un certain âge, cheveux grisonnants, en blouse blanche, un toubib quoi.
- Bonjour messieurs dames, je suis le docteur Dante. Je vais examiner votre fille.
N'attendant manifestement pas de réponse, il poursuivit, concentré, son monologue :
- Je vous demande d'avoir l'obligeance de m'attendre dans le dernier bureau situé au fond du couloir. Je vous y rejoindrai le plus rapidement possible.
Les trois spectateurs que nous étions s’exécutèrent, disciplinés, et puis il faut dire que son autorité naturelle ne nous avait pas laissé le choix. La petite pièce, qui aurait eu bien besoin d'un rafraîchissement, faisait pâle figure. Le bureau semblait avoir été récupéré dans un vieux lycée et les deux chaises avoir fait (au moins…) les deux guerres. La décoration était, elle, quasi inexistante à rendre dépressif un décorateur. Mais qu'importe, ce n’était pas dans ce genre d'endroit que l'on recherchait du confort, encore que…
Les parents de Claire auraient mérité un peu plus d'égards, non pas en raison de leur position sociale, mais bien par rapport au malheur si particulier qui les frappait. Il n'y a rien de plus horrible que de ne pas savoir. Se battre contre l'inconnu est le pire des combats. Je restai bien évidemment debout, je tenais tant bien que mal la place d'un frère qui n'existait pas, et, chose curieuse, je me sentais pour une fois à ma place.
La porte s'ouvrit enfin au bout d'une interminable demi-heure, laissant apparaître ledit professeur, ainsi que l'infirmière attitrée qui le suivait comme son ombre. Son air fermé et grave en disait déjà long. Il s'assis sur un tabouret caché sous le bureau – que ne ferait-on pas pour garder le peu de mobilier que l'on a – et, sans préambule, nous exposa le résultat de ses investigations.
- Bien, je ne vais pas vous mentir. Je ne vais pas essayer de vous noyer avec un jargon médical. Mais je tiens à être clair, je ne cherche pas à vous inquiéter non plus. Simplement, pour l'instant, et je dis bien pour l'instant, je ne peux que confirmer ce que mes confrères ont déjà dû vous dire hier. Nous ne savons pas ce qui provoque le coma de stade un de Claire. Ce coma n'est pas actuellement dangereux pour elle, d'autant plus que tous les retours d'analyses nous confirment qu'elle est en bonne santé, je dirais même en excellente santé. Vous l'avez compris, cette situation est inédite. Je vous demande de me faire confiance, de nous faire confiance. Nous sommes en train de mettre en œuvre tout ce qui est en notre pouvoir pour comprendre au plus vite ce qui se passe.
Levant la tête, il s'adressa alors directement à moi :
- Nous allons avoir besoin de vous jeune homme. Vous êtes son meilleur ami, et ce n'est sûrement pas un hasard si durant son bref moment de conscience, elle vous a cité. Vous êtes peut être la clé qui pourra nous servir à atteindre sa conscience.
Je ne prononçai aucun mot, j’acquiesçai simplement de la tête. J’étais en train de devenir petit à petit la pierre angulaire de la situation et cela commençait à m’inquiéter car j’avais peur de décevoir.
Il n'y avait manifestement plus rien à ajouter. Nous quittâmes donc la pièce dans un silence glaçant. Ses parents partirent en direction de la chambre de la jeune adolescente, tandis que moi je préférai les laisser en famille et en profitai pour descendre au rez-de-chaussée boire un petit café bien mérité. J’empruntai l’unique ascenseur qui s'exécuta tout aussi péniblement que la veille. Ce dernier fit une pause au deuxième étage, les deux portes s'ouvrirent laissant apparaître Sophie qui ne semblait pas étonnée par notre rencontre. C'est elle qui engagea la discussion avec un demi-sourire à peine dissimulé :
- Salut, ça va ? Bien dormi ? cligna-t-elle de l'œil.
- Euh, salut. Qu'est-ce-que tu as voulu dire ?
- Oh là là, fais pas l'innocent, tu sais de quoi je parle. Claire t'a demandé de me faire confiance, non ?
- Euh…oui, comment sais-tu cela ? C'est impossible !
- Il y a beaucoup de choses qui ne te paraîtront plus impossibles bientôt, sourit-elle.
Sur ce, elle m'accompagna sans même demander mon accord jusqu'à la salle de détente recherchée. On avait l'impression qu'elle connaissait les lieux comme sa poche, comme si elle était chez elle. Elle crut bon de prévenir :
- Ne prends pas le café, il a un goût bizarre…
Le face à face silencieux dura une bonne dizaine de minutes quand je décidai de briser la glace :
- Bon, je ne sais pas pourquoi, je vais peut-être le regretter, mais aussi incroyable que cela puisse paraître, je te crois. Enfin, je sens que tu dis la vérité. En fait Claire a toujours été un peu bizarre, hors norme et à dire vrai ton baratin colle assez avec le personnage. Et à y réfléchir, je pense que c'est ça qui doit me plaire chez elle. J'aime bien sa compagnie parce que justement elle est différente.
Sophie sourit alors, elle avait manifestement beaucoup apprécié la description :
- Oui, je comprends ce que tu veux dire. Bien que parfaitement intégrés à votre monde, nous avons des spécificités que nous ne pouvons pas cacher.
Je dois dire que ce genre de réponse semblant sortir tout droit d’un film fantastique me laissa dubitatif :
- Euh, rassure-moi tu es faites de chair et de sang, hein ? dis-je soudain avec appréhension, tout en me disant que cette question était stupide.
- Oui, bien sûr, ria-t-elle. On aura l'occasion de parler de cela plus tard…
- Ok, moi ça me va. Et au point où j'en suis, tu peux me raconter ce que tu veux tu sais…
- On remonte ?proposa-t-elle.
- Oui, on a qu’à faire ça. Et au fait, j'aurais dû t'écouter, le café était dégueulasse…
Nous n'échangeâmes pas d'autres propos durant la remontée. Il y avait beaucoup de monde et il n'aurait pas été simple d'avoir ce genre de discussion, sauf si bien sûr on désirait obtenir une chambre dédiée dans l'établissement…
Nous frappâmes à la désormais célèbre porte 225. Ses parents n'étaient déjà plus là. On pouvait difficilement leur en vouloir. Cette situation était désarmante pour le moins.
Claire ne semblait pas avoir bougé d'un millimètre depuis la veille. Pensais-je, tristement. Le lit avait été fait, la chambre nettoyée, la routine quoi. Je me tournai alors vers Sophie et lui demandai, très curieux :
- Revenons à ce que tu m’as dit. Comment serait-il possible que je puisse communiquer avec elle? Tu ne peux pas m'endormir, comme ça, d'un claquement de doigt ?
Elle me regarda amusée :
- Si, quasiment, je vais tout simplement utiliser l'hypnose.
- Ah bon? Explique-moi. demandais-je piqué par la curiosité.
- Eh bien, l'hypnose est un état proche du sommeil. Il s'agit du stade dans lequel on se trouve quand on est sur le point de s'endormir. Je viendrai ce soir pour t'aider à y accéder pour te permettre de la rejoindre.
- Pourquoi attendre ce soir ?
- Trop de va-et-vient du personnel hospitalier la journée. Il vaut mieux être discret et attendre. Et en plus, je ne pense pas que la famille approuverait. Repose-toi bien, la nuit pourrait être longue. Il est important que tu sois d'accord et volontaire. On ne peut pas hypnotiser quelqu'un à son insu, contrairement à ce que l'on peut entendre parfois. Il n'y a aucun danger et tu te réveilleras détendu.
- Ok, je ne sais toujours pas pourquoi, mais je te fais confiance, conclus-je en souriant, une fois n'étant pas coutume.
- Tu as confiance en ton amie, tu as donc confiance en moi. Je vais devoir partir, des détails à régler…
- Ah ? Déjà ? Alors à ce soir, répondis-je ostensiblement déçu.
- Oui à ce soir.
Elle quitta aussitôt et promptement la pièce comme à son habitude. La porte se referma me laissant bien mélancolique. Une tristesse bien évidemment due à la situation particulière, mais aussi – j’étais en train de m'en rendre compte – au fait que la seule personne à qui je pouvais désormais me confier était Sophie. Midi approchait, le célèbre et non moins délicieux plateau avec. Je me surpris à parler à haute voix :
- T'as de la chance Claire tu sais. Dire que c'est mauvais est un doux euphémisme. Toi t'as les perfs, nourrie en direct la nana, c'est pas plus mal ! C'est bien simple, soit le cuisinier est en cours de licenciement et il se venge, soit il n'y a plus de cuisinier dans ce gourbi ! Bon, restons positif, je voulais perdre deux ou trois kilos justement…
Curieusement, j’espérais, sans trop y croire, qu'elle allait me répondre. Je lui assénais comme à mon habitude un humour toujours aussi mauvais selon ses dires. Le silence assourdissant devenait de plus en plus lourd. Je repartis à la recherche de la fameuse télécommande qui commençait à se faire désirer. Je cherchais en vain à quatre pattes depuis un bon quart d'heure quand j’entendis frapper. C'était le père de Claire qui entrait avec une démarche visiblement hésitante.
- Re-bonjour Nicolas…Je ne te dérange pas ? Je viens te voir car j'ai besoin de te parler…
- Euh, oui, dites-moi, répondis-je en me relevant, très surpris.
- Ma femme et moi sommes anéantis, commença-t-il.
Il fit une pause comme si cela lui coûtait de se retrouver, une fois n'est pas coutume, dans une situation de vulnérabilité. Il reprit avec peine, se faisant manifestement violence.
- Voilà, nous vivons une situation délicate. Tu es bien malgré toi mêlé à ce qui nous arrive et nous en sommes bien sûr désolés. Nous voulons te remercier par avance pour ta patience et ton dévouement envers elle.
- Mais c'est normal monsieur, c'est ma meilleure amie vous savez, répondis-je compatissant et soudainement très mal à l'aise.
- Eh bien justement, tu vas être amené à avoir accès à des informations, disons, personnelles. Vu que tu vas partager beaucoup de tristes moments avec nous dans les jours à venir, nous souhaitons être le plus honnête possible avec toi.
- Euh, oui…je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous essayez de me dire…
- Eh bien, pour dire les choses simplement, Claire n'est pas notre fille !
***
Voilà, j'espère que ce second chapitre vous aura passionnés.
Christophe.
Edit : j'ai appris que CTRL AL SUPPR, mon livre précédent, a été piraté et diffusé sans mon accord sur des plateformes douteuses…Du coup, à partir du prochain chapitre, l'accès sera restreint aux Abonnés Premium, et si je décidais de le publier sur Amazon, il n'est pas certain qu'il soit disponible au format numérique Kindle.
Je n'ai pas cherché à gagner de l'argent, CTRL ALT SUPPR est disponible à partir d'un euro seulement, je trouve lamentable que des personnes mal intentionnées diffusent sans mon accord et en toute illégalité mes écrits.
SOSPC c'est plus de 2000 articles,
Rejoignez la Communauté à partir de 2 € par mois !
Plus d'infos sur les avantages en cliquant ICI.
Christophe, Administrateur